Origine de la tendresse

Je trouvais la tendresse dans les arbres.

Je me souviens très exactement des marronniers de la cour de l’école maternelle et de la douceur de la peau des marrons mille fois ramassés.

J’avais la preuve que Mme Charvet, la directrice de l’école, était gentille puisqu’elle était la seule de la rue à avoir une haie qui donnait sur le trottoir. Je traversais la rue pour caresser les feuilles de sa haie. Je crois que j’en avais honte, je crois même que c’était un geste sensuel. Même enfant.

Les enfants ont besoin de tendresse pour grandir.

Nous avions un arbre à boules blanches à la maison. Nous attendions que les boules soient bien grosses, bien écloses et c’était une bataille de boule de neige de printemps. Cette joie, c’était de la joie pure d’être ensemble, reliés grâce à la nature et à ce qu’elle nous donnait. C’était rare parce que la nature, c’était pas toujours notre copine. Couper les chardons dans les pâtures, crever de chaud pour ramasser le foin l’été, se flinguer les jambes dans la paille, ramasser les prunes par terre, tailler les haies, tondre la pelouse, désherber, désherber entre les pieds de la haie, défricher les layons dans les bois. Rha putain ça poussait tout le temps et partout.

L’amitié quand j’étais enfant, c’était grimper dans les pommiers de tonton Gilles avec mon cousin Vincent. C’était des vieux pommiers cassants. On attendait les week-end chez papa et on allait surveiller discrètement si les pommes commençaient à grossir. Dès que ça ressemblait un peu à quelque chose, on se jetait dessus. C’était mal. Pourtant la culpabilité n’arrivait que quand tonton Gilles nous voyait de loin en train de croquer dans les pommes une par une et puis les jeter au sol. On tapissait son verger de dents d’enfants dans des pommes pas mûres. C’était acide et râpeux, on se disait que la prochaine serait la bonne. On sentait l’arbre protecteur. Et puis on se faisait choper.

On allait aussi aux noisettes. C’est cet arbre qui était le symbole du partage chez nous. Les noisettes de Mémère Edith étaient exceptionnelles. Je sais que tous mes cousins qui liront cette phrase auront l’eau à la bouche. Elles étaient grosses avec une peau rosée, craquantes et douces sur la langue. Elles avaient le goût du paradis même quand il fallait les casser avec les dents et qu’on croquait dans la capsule verte acidulée qui les entourait. On cassait avec n’importe quoi pourvu que ça n’écrase pas. Il fallait taper mais lentement. Pierres et cailloux, marteaux et outils de toutes natures, le bord d’une canette de bière en verre, le miracle du casse-noisette racheté par Mémère après les douze qu’on lui avaient perdu. Ce goût de paradis qu’on a encore tous et qu’on aura toujours pour cet arbre et ses fruits, on l’avait aussi parce qu’on était ensemble, parce que les yeux de nos cousins dans les nôtres nous faisait croire que le noisetier était éternel, que l’année suivante les noisettes seraient toujours là, et que tous, on serait toujours là.

Les feuilles du noisetier ont une légère pellicule de poils sur le dessous, ça fait des doudous pour l’âme sur les petits doigts.

J’ai offert un seringat à mon père, je sais que chaque fois qu’il fleurit, il m’entend lui dire que je l’aime.

J’ai planté des pieds de lavande chez ma mère, je sais que chaque fois qu’elles fleurissent, elle sent le sud et elle sait que je suis près d’elle.

Je me souviens des esthétiques de thuyas sans vraiment identifier l’endroit, une haie chez papy Louis ? Chez le voisin ? Au cimetière ? Je ne sais plus trop. Reste juste de sentir en moi et sous la pulpe de mes doigts les chemins empruntés pour pousser comme un système veineux apparent et végétal. Regarder longtemps, plonger, me cacher dans les thuyas, c’était danser de l’intérieur.

Je ne peux pas écrire ce que nous vivions quand le printemps revenait. Dans les Ardennes, la nature mourrait pendant des mois. C’était plus que la vie qui revenait, c’était l’espoir.

Les arbres de la passerelle et ceux du chemin du terrain de foot.

S’embrasser sous les marronniers du calvaire la nuit.

Le poirier qui fleurit des merveilles.

Le cerisier si fragile qu’on voudrait tellement protéger des saints de glace mais nos bras sont trop petits pour le câliner tout entier.

La plantation de sapins de mon père qui ne fera jamais Noël.

Le chêne Larue comme support à tendresse. A ton avis combien d’enfants faut-il pour en faire le tour avec les bras grands ouverts ? 5 ou 6 selon l’âge. On savait qu’on grandissait grâce à lui, on était moins pour faire le tour, on s’attrapait les mains serrés contre l’écorce, on essayait de compter et on revenait l’année d’après.

Les haies d’épines, le bois de tonton Max, les arbres du jardin de Virginie plantés par son père que nous avons connus bébés et qui sont maintenant de vrais arbres.

La petite forêt de Pino qui ne servait à rien sauf à accueillir le plus beau et fragile champ de perce-neige à la fin de l’hiver et qui était une raison suffisante pour laisser tous ces arbres là où ils étaient. Les lauriers pour le vin.

Les pruniers sauvages pour la goutte dans la rue basse.

Le pommier des vannes qui vient de mourir.

Le sapin géant qui était la cabane d’Arthur.

Et le nouveau pommier que nous venons d’acheter ensemble mon amour.

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Bois sacré (détail) – encre sur papier – 75 x 105 cm – 2019

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